Ce vendredi 3 mars, j’ai rencontré Didier Sperandieu, fondateur de Wallocale, une épicerie ambulante de produits locaux. Elle a fonctionné de juin 2018 à février 2019. À la suite d’un souci avec son véhicule, Didier a modifié son activité en se concentrant sur la promotion d’une quinzaine de producteurs et d’artisans (rôle de délégué commercial et livraison de produits dans des épiceries spécialisées). Il a ensuite été recruté chez Rob The Gourmet’s Market à Bruxelles pour développer leur gamme de produits. Didier nous a partagé son expérience avec l’épicerie ambulante Wallocale, et nous a donné de précieux conseils pour la mise en place d’une épicerie mobile du Réseau RADiS.

La naissance du projet

Didier Sperandieu a fondé « Wallocale, l’épicerie ambulante des produits d’artisans wallons » en 2019. Après un début de carrière dans le secteur de la grande distribution et un passage par le magasin « D’Ici », Didier a décidé de créer son propre projet mettant en valeur les artisans locaux. « Chez Match, j’étais frustré, car les aliments sur lesquels je travaillais étaient beaux, certes, mais sans visage, sans histoire, on ne savait pas dire qui était le producteur ou l’artisan qui était derrière. Le travail chez D’Ici m’a permis de découvrir un tas d’artisans et les valeurs qu’ils portaient. J’ai été séduit. Avec Wallocale, j’ai voulu mettre en valeur le travail de nos artisans wallons en présentant leurs produits à Bruxelles et dans le Brabant wallon ». Pendant deux ans, Didier a imaginé et construit son projet d’épicerie ambulante, alliant convivialité et toutes les valeurs qu’il souhaitait porter. Enfin, en juin 2018, le véhicule était sur la route.

Le modèle

Didier a démarré avec un petit budget : 6.000 euros d’économies qui lui ont permis d’acheter un ancien food truck de hamburgers, et 5.000 euros d’une bourse Job In qui lui ont permis de le transformer et d’acheter ses premiers stocks de marchandises. Après des mois de travail sur sa camionnette pour en faire un outil de vente à la fois pratique et convivial, Didier se lance sur les routes en février 2019.

Les lieux de vente

La vente a lieu sur différents marchés : Saint Gilles, Uccle, Etterbeek, Woluwé et Wavre. Grand coup de stress pour son premier marché à Ottignies : 50 euros de vente à peine sur la matinée ! Dépité, Didier s’est demandé comment son projet pourrait tenir avec de si faibles rentrées. Mais tout est une question de stratégie, que ce soit le choix des lieux de vente, ou la gamme proposée à la clientèle. L’avantage d’un outil mobile, c’est qu’il peut se déplacer là où les ventes fonctionnent, et si un quartier est intéressant à un moment donné, il peut ne plus être un bon spot quelques années plus tard. Les marchés rassemblent du monde, mais il n’est pas facile de s’y faire une place et ça peut être assez coûteux. Les week-ends sont un bon créneau de vente car il y a plus de monde, et les nocturnes sont intéressantes pour leur côté convivial (proposer alors des boissons, apéros…). Parfois, une association avec un commerce local qui met à disposition son parking peut être intéressante, c’est ce que Didier a fait avec la banque Axa de son village. Il n’y a alors pas d’autorisations à demander à la Commune et pas de frais de location d’emplacement. Une maison de repos de haut standing lui a proposé de venir une fois par semaine pour les pensionnaires, ce qui était un moment riche du point de vue social. La présence sur des événements peut être aussi très intéressante. Il faut aussi créer ses événements, inviter des producteurs, etc. Didier n’a pas expérimenté la vente de village en village, mais recommande de proposer des systèmes de pré-commande pour s’assurer d’avoir assez de clients sur l’itinéraire.

L’art de définir sa gamme

D’après Didier, le succès d’une épicerie ambulante dépend surtout de la gamme de produits qui y est proposée. Ses produits phares étaient les fruits et légumes, les fromages, le miel, et certains produits comme la mousse de truite qu’il a fait découvrir à ses clients. Il faut de la fraicheur (trois approvisionnements en fruits et légumes par semaine) et surtout de la qualité et de la diversité. Il est important de se démarquer des produits vendus par les autres commerces avec des choses originales et la mise en valeur de la « petite histoire » du produit. Dans l’épicerie, on trouvait aussi de la viande, des charcuteries (saucisson, boudins…), des bières, des limonades, du vin, du pain… La gamme doit changer régulièrement pour proposer des nouveautés. Il vaut mieux ne présenter en routine qu’une sélection des produits des producteurs, et en « nouveautés » le reste de la gamme en tournant régulièrement. La gamme change aussi avec la saison, notamment pour les fruits et légumes ! C’est un bon moyen de sensibiliser le consommateur, de le conseiller. Pour la période des fêtes, on peut aussi se concentrer sur des produits de bouche.

La conservation des produits

L’épicerie est munie d’un frigo renfermant les laitages et la viande. Tout est emballé sous vide ce qui permet de ne pas devoir manipuler les produits sur le marché (pas d’évier pour se laver les mains…) et réduit les obligations AFSCA. Les légumes sont présentés dans des bacs en bois. Il faut éviter de les placer au soleil. Sinon, ils tiennent facilement le temps d’un marché, soit 4 à 6 heures. Il y a des légumes plus sensibles que d’autres, comme les salades. La vente de salades n’est pas intéressante, car elles prennent de la place, flétrissent vite, et ne rapportent pas de marge. Il vaut mieux préférer les racines et les poireaux. Les pommes de terre sont appréciées à Bruxelles, mais prennent de la place et du poids, et génèrent peu de marge. Hors des périodes de vente, Didier stockait les fruits et légumes dans une cave, et laissait les laitages et la viande dans le camion, le frigo étant alors branché sur le secteur de son domicile. Les invendus sont peu nombreux quand on connait les habitudes de sa clientèle et quand on travaille en flux tendu. Ils étaient valorisés dans la consommation du ménage.

La logistique

Pour s’approvisionne en produits d’artisans, Didier a privilégié le contact direct avec les producteurs et allait se ravitailler en direct chez eux. Ceci demande beaucoup de temps et d’énergie. Le passage par un intermédiaire peut réduire ce besoin logistique, mais ce dernier prenant son pourcentage, les marges seront moins importantes pour ne pas arriver à des produits inaccessibles. Il est donc nécessaire de faire ses calculs pour définir la meilleure stratégie. Parfois, les choses se mettent en place d’elles-mêmes. Sur un marché, une boulangère a proposé à Didier de vendre ses pains car elle n’était pas forte dans la commercialisation. Une épicerie ambulante pourrait proposer en parallèle un service logistique pour fournir d’autres commerces, mais attention à la concurrence si les clients y trouvent les mêmes produits !

Le véhicule

La conception du véhicule doit être bien pensée pour s’assurer que rien ne bouge pendant le transport. Didier peut laisser certaines choses sur les étagères, mais doit ranger des articles plus fragiles à chaque déplacement. Il faut pouvoir proposer le plus de diversité de produits possible, donc avoir du volume, valoriser chaque espace. Didier a eu beaucoup de soucis avec sa camionnette, et passait beaucoup de temps à la réparer. C’est finalement une explosion du moteur qui a provoqué l’arrêt des activités.

Un métier difficile

On idéalise souvent le métier d’ambulant, mais c’est une activité qui peut être très lourde. A coté des moments de vente, il faut mettre beaucoup d’énergie pour aller chercher les produits, pour s’installer (1/2h) ou replier son matériel et le stocker dans de bonnes conditions, vendre par tous temps (dans le froid de l’hiver ou sous le cagnard de l’été), et gérer l’administratif (il a commencé par gérer seul la comptabilité). Être seul, ce n’est pas facile, et Didier recommande d’essayer d’être à deux pour assurer les marchés (et pourquoi pas un gérant et un bénévole en tandem ?), et se répartir les tâches logistiques et administratives. Mais il faut alors aussi que le commerce fonctionne suffisamment pour payer deux salaires. Il faut que la personne qui gère la vente ait la fibre commerciale et arrive à attirer le client, parler de produits, varie la gamme, etc. La qualité de cette personne est déterminante pour tout projet de commerce.

L’importance de la communication

Didier n’avait pas de gros budget de com-marketing pour son activité. Il a d’abord pris soin de réaliser un food-truck attractif, beau, donnant une ambiance originale, reflétant les artisans et producteurs. Il faut que les clients admirent le décor, pour s’intéresser ensuite aux produits. Pour le reste, la communication était concentrée sur la page facebook et le compte instagram, en prenant soin de montrer le quotidien, les visites aux producteurs, les présences et événements sur les marchés, les contre-temps… Pour donner un visage à son activité. Didier juge que sa communication n’a pas été suffisante, notamment pour signaler sa présence dans son village, Wépion, un soir par semaine.

Le fonctionnement économique

Il est difficile de donner la valeur d’un « panier moyen » pour l’activité de l’épicerie ambulante, car tout dépendait du marché, de la gamme et du contexte (à Bruxelles, les clients ont en général plus de moyens). Du point de vue des marges, il tournait autour de 40 à 50 %, mais c’était trop peu. La marge peut être plus importante pour les légumes, mais elle sera moindre pour les laitages et produits d’épicerie. D’après JobIn, avec qui Didier était en couveuse d’entreprise, le modèle était économiquement rentable.

Aujourd’hui, Didier n’a aucun regret : « Si c’était à refaire, je le referais sans hésiter. Peut-être un peu différemment. J’ai beaucoup appris ». Wallocale est aujourd’hui à l’arrêt, mais un feu de passion couve sous ses cendres. Peut-être nous reviendra-t-il bientôt avec un nouveau projet ?

Photos (c) Didier Sperandieu