Ce lundi 6 mars 2023, j’ai rencontré Ignace Sepulchre, gérant de « Ignace produits bio », commerce ambulant de produits bio desservant les marchés matinaux de Bruxelles, Auderghem, Waremme et Verviers. Il ouvre également son commerce mobile dans son village à Barsy (Havelange) le vendredi soir. Une occasion de découvrir son activité et de bénéficier de 25 ans d’expérience dans la vente de produits bio et locaux.

Les équipements

Ignace et son épouse ont commencé à faire les marchés avec une remorque de vente attachée à une camionnette. Ils ont ensuite choisi un petit camion, et plus récemment, ils ont investi dans un plus grand camion de vente. Tout le nécessaire pour la découpe est présent dans le camion, ainsi que les balances, un évier pour se laver les mains, le paiement mobile, etc. Lors des déplacements, les frigos bénéficient de l’inertie thermique. Sinon, ils sont raccordés à l’électricité sur le marché et au domicile. Dans son garage, Ignace dispose d’une chambre froide pour la conservation des produits frais, et de quelques étagères pour le stock d’autres produits.

Concernant notre idée d’épicerie mobile, Ignace nous conseille de bien réfléchir au type de véhicule, car le commerce ambulant de village en village nécessite un équipement particulier, pratique, ne nécessitant pas de passer du temps à la mise en place des produits à chaque arrêt. Des modèles bien adaptés existent notamment en France où ce genre de commerce ambulant est encore fréquent. Une bonne adresse de vendeur spécialisé est Etalmobil (https://www.vehicule-magasin.com/). Ils proposent du neuf et de l’occasion.

La gamme

Leur spécialité est sans conteste les fromages. Leur étal comprend une très belle diversité de fromages bio wallons, mais également quelques incontournables provenant de pays voisins comme le Comté ou la Fêta qui leur est livrée en tonneaux. Vache, chèvre, brebis, les amateurs de laitages sont servis, et ils peuvent même y trouver du lait cru. La fraîcheur est assurée par des approvisionnements deux à trois fois par semaine, soit en direct auprès des producteurs, soit via un grossiste, selon la localisation des fournisseurs. Ignace propose également de la viande fraîche et de la volaille, des œufs d’un poulailler mobile du village, du pain et des pâtisseries (donc une partie sont confectionnées par son épouse avec beaucoup de passion), un peu d’épicerie sèche, quelques bocaux et des boissons. Il ne propose pas de fruits et légumes, laissant ce créneau aux autres exposants.

La gestion des invendus

Le pain et la viande sont les invendus les plus difficiles à gérer. Ignace en garde une partie pour la consommation de son ménage, certains fournisseurs lui en rachètent occasionnellement, mais il n’a pas encore trouvé de solutions pour les fournir aux colis alimentaires car il devrait aller les déposer loin de chez lui.

La commande

Sur le site internet de l’entreprise se trouve un e-shop permettant aux clients de commander des produits. Ils paient lors de l’enlèvement de leur colis sur le marché. Ignace va désactiver la réservation en ligne car c’est très difficile à gérer : il faudrait actualiser les prix chaque semaine, et la gamme des produits vendus est très étendue. Par contre, les clients peuvent commander sur les marchés pour les semaines suivantes, ou par sms ou par mail. Ce système est très pratique car il leur permet d’être assurés de la disponibilité des produits.

Les vendeurs

Le commerce d’Ignace nécessite 3 personnes pour servir les clients. En effet, le camion propose une gamme très importante de produits, et les fromages et viandes sont découpés et emballés par les vendeurs, ce qui nécessite du temps. Il est important que les personnes qui gèrent la vente soient formées, notamment en ce qui concerne la manipulation des denrées et les bonnes pratiques permettant d’assurer une bonne conservation des produits (emballage des fromages sous film plastique pour les conserver entre les moments de vente, etc.).

Dans le cas du projet du Réseau RADiS, il trouverait intéressant que les producteurs assurent de temps en temps la vente. Les avantages seraient à la fois une économie sur les coûts salariaux et la convivialité offerte aux consommateurs de pouvoir rencontrer et découvrir les acteurs de leur alimentation. Il est en effet important d’associer le visage et la petite histoire aux produits.

La logistique

Auparavant, Ignace fournissait en produits quelques commerces, mais cette activité a cessé. Les grossistes demandant de grosses commandes pour atteindre le franco de livraison, les commerces préfèrent limiter le nombre de fournisseurs. Ignace livre encore quelques restaurants.

C’est principalement le mardi matin qu’il consacre à sa tournée chez les producteurs. Si ce n’est pas rentable en termes de temps et de frais, Ignace tient à rendre visite aux producteurs pour s’enrichir d’anecdotes et de conseils sur les produits, et relayer des éléments intéressants à ses consommateurs. Il ne serait par contre pas capable de payer une personne pour réaliser cette tournée, cela reviendrait vraiment trop cher. Il utilise une petite camionnette plutôt que son camion pour des raisons de praticité et de maniabilité.

Il ne faut pas sous-estimer le temps nécessaire pour préparer les vitrines de l’épicerie et ranger les produits après les jours de vente.

Une semaine type pour Ignace :

  • Lundi : gestion administrative du commerce
  • Mardi : tournée chez les fournisseurs et préparation de l’épicerie mobile pour les jours de vente
  • Mercredi au samedi : vente sur les marchés le matin (et le vendredi soir à Barsy).
  • Dimanche, c’est le jour de repos !

 

La vente

D’après Ignace, on peut considérer le panier moyen du consommateur entre 25 et 30 euros. La ferme du Peuplier, qui vend ses légumes à coté de lui, fait à peu près le même chiffre.

Ignace prend une marge allant de 60 % à 70 % environ. C’est relativement faible par rapport à d’autres exposants. Pour les autres exposants comme des boucheries, les marges peuvent aller jusque 150 %. En général, les fournisseurs pratiquent un prix BtoB. Certains ne souhaitent cependant pas descendre leurs prix sous le tarif BtoC. Ignace renonce alors à acheter leurs produits, car ils seront trop chers pour ses clients. De nombreux producteurs ne savent pas ce que leurs produits leur coûtent, et ont du mal à définir un prix, notamment pour la vente en gros.

Les meilleurs jours de vente selon Ignace sont le week-end, quand les gens ne travaillent pas. Certaines personnes actives viennent faire leurs courses tôt le matin, parfois en déposant les enfants à l’école, et sur le temps de midi. En général, il est plus facile de vendre des produits comme des fruits et légumes le matin, car ils ont tendance à se défraichir plus vite l’après-midi (chaleur).

La vente mobile permet de répondre à des opportunités. Ignace a été sollicité pour proposer un buffet zéro déchets à une marche gourmande. Il a préparé des pains garnis et des boissons à bouteilles consignées. C’était très chouette mais aussi beaucoup de préparation et de travail sur place. Les brocantes sont aussi un créneau intéressant, et les festivités de village. Il avait été invité à Bruxelles sans voitures et à la Fête de l’environnement du Cinquantenaire, mais les prix demandés par les organisateurs ont rebuté les artisans et petits commerces. C’est à présent une majorité de forains qui y vendent des produits.

La situation des marchés

Ignace pense que les marchés situés en zones urbaines, se rapprochant des consommateurs, sont une voie d’avenir. Les coûts du transport individuel pourraient devenir si importants que cela provoquerait un retour d’une partie de la population vers les zones urbaines. Les marchés ont connu des difficultés ces dernières années : fermeture liée à la crise covid, baisse de fréquentation ensuite notamment liée aux départs en vacances, faillites de nombreux exposants… Il observe que les ventes de pain sont à la baisse mais ne peux pas expliquer pourquoi. Pour Ignace, il est important que les villes réinvestissent dans leurs marchés hebdomadaires en les facilitant : mieux les situer dans certains cas (à Ciney, il est pour le moment éloigné du centre commerçant), éviter autant que possible de limiter leur accès par des travaux, etc.

Les marchés permettent de rencontrer une diversité de personnes d’origines variées et de leur permettre d’accéder aux produits bio locaux qu’ils ne trouveraient peut-être pas sinon. On y retrouve aussi un public de personnes gourmandes, qui aiment manger. La qualité d’un marché dépend de sa fréquentation et de la gamme proposée par les autres exposants.

Pour rejoindre un marché, il est nécessaire de demander une autorisation à la Ville concernée. Un règlement communal dicte combien d’exposants de chaque catégorie de produits le marché peut accueillir, afin d’éviter les trop fortes concurrences. En général, ils manquent de boucheries et de poissonneries. Il y a parfois des listes d’attente. Il faut payer une taxe communale s’élevant environ à 3 euros par mètre et par marché. Il y a un supplément à payer pour l’électricité.

Les recommandations d’Ignace

Ignace pense que l’épicerie mobile du Réseau RADiS peut fonctionner. Il serait intéressant que les producteurs s’y investissent pour tenir cette épicerie à tour de rôle, au moins pour une partie de ses activités. Il sera important de prévoir une bonne communication, car c’est en général le point faible des commerces ambulants sur les marchés.

Photos (c) Ignace Produits BIO